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Interview d'investisseur - Financement de l'efficacité énergétique

Le 09|03|2021 Publié le 09|03|2021
Financement de l’efficacité énergétique : un équilibre à trouver entre standardisation des solutions innovantes et spécificités de chaque projet industriel. Entretien avec Sébastien Soleille, Responsable transition énergétique et environnement à BNP Paribas.

ALLICE :
Pourquoi et comment avez-vous initié votre offre de financement de l’efficacité énergétique et de la décarbonation ?

Sébastien SOLEILLE : Nous avons commencé à travailler sur le financement de l’efficacité énergétique dans l’industrie de manière très naturelle : nous nous sommes toujours positionnés comme partenaire de nos clients, en les accompagnant sur l’ensemble de leurs enjeux stratégiques, et la transition énergétique en fait désormais partie.
La prise de conscience s’est faite progressivement : dans un premier temps, nos clients se préoccupaient des sujets environnementaux dans leur ensemble, sans distinguer les projets d’efficacité énergétique. De notre côté, le climat a été considéré comme la priorité de notre politique environnementale en 2011, et il s’agissait alors surtout pour nous de ne plus financer des activités polluantes.
En 2015, l’Accord de Paris a marqué un véritable tournant :  nous avons pris des engagements fermes en matière de sortie du charbon, de financement des énergies renouvelables et nous avons progressivement accompagné nos clients dans la décarbonation de leurs activités ou leurs opérations de compensation. Les premiers projets d’ampleur financés sont liés à la production d’EnR, dont les impacts sont plus faciles à quantifier. Les actions d’amélioration de l’efficacité énergétique, moins intuitives, représentent encore des volumes financiers limités.

ALLICE : Comment vous êtes-vous structurés pour accompagner les clients dans leur stratégie et bien évaluer les enjeux et les risques des projets sur lesquels vous investissez ? Avez-vous une équipe dédiée au conseil et à l’analyse ?

Sébastien SOLEILLE : Notre vocation n’est pas de devenir des spécialistes en conseil énergétique, nous nous concentrons surtout sur la dimension financière. C’est le responsable de clientèle l’interlocuteur privilégié de l’entreprise et il pilote les expertises nécessaires. Comme pour tous les projets, le retour sur investissement et la rentabilité sont calculés par les entreprises qui connaissent leur métier et les évaluent avant de se lancer dans un financement par la dette. Ensuite, nous regardons le budget dont l’industriel a besoin, quels sont ses objectifs de long terme, si ses actions sont alignées avec ces objectifs… bref, son sérieux et sa solidité, puis nous évaluons le taux envisageable. Si le projet se fait à des conditions de risque acceptables, nous acceptons le dossier, comme pour tout autre investissement.
A ce niveau, nous avons rarement besoin d’une expertise pointue sur l’efficacité énergétique et, généralement, les compétences internes suffisent. Quand nous devons aller au-delà, nous faisons appel à un conseil externe.
Nous avons néanmoins bien sûr formé les équipes internes : en effet, elles ont un rôle de sensibilisation des clients pour les convaincre de s’engager dans la transition énergétique. Inversement, avant 2015, jamais un directeur financier d’industriel n’aurait eu l’idée d’aborder ce sujet avec son chargé de clientèle bancaire. Aujourd’hui, c’est de plus en plus fréquent. Nos conseillers doivent donc être prêts à en discuter et rassurés sur leur capacité à répondre à ces situations nouvelles.

ALLICE : Les risques de financement sont un frein important à l’accélération de la décarbonation de l’industrie. Comment abordez-vous cet enjeu et quels instruments utilisez-vous ?

Sébastien SOLEILLE : 
Le risque est intrinsèque à l’innovation, il est toujours plus facile d’utiliser une technologie déjà testée par tous ses concurrents !
Nous développons donc des outils spécifiques : notamment le Contrat de Performance Energétique (CPE). Par exemple, nous avons mis en place des partenariats avec un spécialiste industriel de l’éclairage pour remplacer des éclairages traditionnels par des LED : le financement est porté par un crédit et le remboursement assuré par l’économie réalisée sur la facture d’électricité. Les premières opérations de ce type ont eu lieu notamment dans l’éclairage public, dont l’ampleur et donc les économies réalisées sont substantielles. Le modèle peut tout à fait se décliner dans l’industrie.
Parmi les autres instruments financiers « verts », nous avons des green bonds, c’est-à-dire des obligations dédiées à des projets environnements, par exemple liés à l’efficacité énergétique, ou encore des outils qui indexent le taux d’intérêt sur l’atteinte d’objectifs de durabilité de l’entreprise. C’est encore embryonnaire en ce qui concerne l’efficacité énergétique ; il s’agit pour l’instant majoritairement d’opérations qui portent sur le climat d’une manière globale et non sur le financement uniquement d’une opération d’efficacité énergétique. Mais de grandes entreprises commencent à actionner ce levier, c’est par exemple le cas de Solvay, dans le cadre de ses objectifs de réduction de GES.

ALLICE : 
Pourquoi ces outils ont-ils des difficultés à se développer plus massivement pour les opérations d’efficacité énergétique ? 

Sébastien SOLEILLE : 
Il faut que nous puissions développer des dispositifs suffisamment réplicables, que nous puissions standardiser un certain nombre de solutions. Mais nous sommes confrontés au fait que les projets, eux, sont toujours très spécifiques. Il nous est difficile de les agréger.
Par ailleurs, les outils les plus innovants sont souvent conçus pour répondre aux besoins de très gros projets, et aujourd’hui les opérations limitées à la stricte efficacité énergétique représentent des investissements encore relativement limités.

ALLICE : Lorsque vous indexez le taux d’intérêt sur la réussite des objectifs environnementaux de l’entreprise, n’est-ce pas contre-intuitif ? Il serait plus intéressant pour la banque que les objectifs ne soient pas atteints ? 

Sébastien SOLEILLE :
 Dans une logique court terme, effectivement ! Mais nous avons une vision long terme : pour nous, les clients qui ne s’engagent pas dans la transition environnementale et énergétique finiront par décliner, voire disparaître. Les clients qui ont une démarche dynamique en ce sens vont au contraire rapidement avoir un avantage compétitif, être plus performants. Cette approche répond d’ailleurs à une demande de leur part.
Nous avons aussi des actionnaires : en AG, nos actions pour le climat font partie des sujets les plus discutés. La directrice RSE fait partie des rares personnalités sur la scène.

ALLICE : Lorsque vous faites partie d’un tour de table, pour boucler le financement d’un projet, quelles sont les autres sources des fonds ? Avez-vous des partenariats spécifiques ? L’habitude d’intégrer des dispositifs complémentaires comme les CEE ? 

Sébastien SOLEILLE :
 Comme évoqué, sur le périmètre strictement de l’efficacité énergétique, à notre échelle, les investissements restent assez limités : nous n’avons pas besoin d’un tour de table avec d’autres financeurs dans la plupart des cas. Il y a quelques pays qui ont une approche un peu différente. Notre entité en Pologne travaille avec la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) par exemple.
Pour les CEE, si cela fonctionne bien pour les logements, avec notre filiale dédiée Domofinance, coentreprise avec EDF, pour l’instant, dans l’industrie, c’est un outil sur lequel nous sommes en veille, mais encore complexe et peu utilisé. Précisons que nous ne sommes pas toujours au courant de tous les leviers mobilisés par nos clients, le fait que nous ne l’intégrions pas dans notre dispositif ne signifie pas que le client ne l’a pas utilisé.

ALLICE : Comment repérez-vous les innovations porteuses ? 

Sébastien SOLEILLE : Nous investissons dans certaines start-ups et entreprises innovantes : Métron, par exemple, un adhérent d’ALLICE. Nous nous positionnons alors comme un partenaire et pas uniquement un financeur. Nous les aidons à nouer des partenariats, nous les mettons en relation avec nos clients, nous voulons les voir croître et les accompagnons pour cela.
Nous avons aussi un partenariat avec le projet Solar Impulse de Bertrand Picard, qui nous permet d’identifier des solutions nouvelles, avec ici aussi l’objectif de faciliter les mises en relation pour leurs développements ; ou encore un programme, conjoint avec Danone et Engie, où nous sélectionnons une douzaine de projets de nos collaborateurs et, pendant 6 mois, non seulement nous les rémunérons pour qu’ils travaillent sur leurs projets, mais nous leur proposons aussi des formations et un accompagnement. Ces projets sont réalisés dans tous les domaines. Parmi ces projets d’intrapreneuriat qui ont réussi dans le domaine de la transition énergétique, on peut citer ClimateSeed : il s’agit d’une plateforme visant à mettre en relation les projets de compensation carbone et les acteurs qui cherchent à compenser leurs émissions de GES.
Enfin, nous nous appuyons sur nos collaborateurs : ils sont formés pour être capables de repérer au cas par cas des projets porteurs. Depuis plusieurs années, nous travaillons avec ENEA Consulting sur des secteurs spécifiques : quelles sont les problématiques du secteur ? Quels impacts ? Quelles offres financières adaptées… Nous avons déjà réalisé ces formations pour nos chargés de clientèle travaillant avec des clients dans certains secteurs spécifiques.

ALLICE : Un mot pour conclure ?

Sébastien SOLEILLE :Pour répondre aux objectifs de l’Accord de Paris, nous devons changer de modèle, penser à long terme et mobiliser tous les leviers de la décarbonation : EnR, efficacité énergétique, économie circulaire…

Retrouvez Sébastien Soleille les 21 et 22 septembre 2021 lors de notre congrès « Ensemble vers l’industrie bas carbone » où il participera à la table ronde « A technologies innovantes, solutions de financement innovantes ! »
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