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Interview de lauréat pitch Congrès ALLICE - Patrice Tochon, Genvia

Le 10|12|2021 Publié le 10|12|2021

Lauréat du pitch innovation dans la catégorie Hydrogène lors du Congrès ALLICE 2021

Electrolyse à Haute Température, Une technologie à haut rendement pour la transition énergétique


Par Patrice Tochon, Chef du Département des Technologies Thermiques, Biomasse et Hydrogène, Genvia
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Pour un hydrogène compétitif à l'horizon 2030 : les industriels français ont des places à prendre !
ALLICE : Patrice Tochon, vous êtes lauréat de la catégorie « Hydrogène » du 1er congrès biennal de l’Alliance ALLICE. Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots les spécificités de votre technologie ?

Patrice Tochon : En basse température, l’hydrogène se produit avec un électrolyseur à partir d’eau liquide, convertie en O2 et H2. Notre technologie réalise cette transformation à partir de la vapeur d’eau : elle est donc adaptée aux industries qui utilisent de hautes ou très hautes températures et permet de valoriser efficacement la chaleur fatale pour produire cette vapeur. Si nous pouvons travailler avec des rejets thermiques d’au moins 150°C, nous allons produire de l’hydrogène avec une économie de 30% d’électricité par rapport à une technologie conventionnelle.

ALLICE : Dans quels cas concrets est-elle particulièrement pertinente ? 

Patrice Tochon : On peut citer trois cas :

  • L’industriel utilise déjà de l’hydrogène : on peut alors remplacer les vapo-reformeur ou les stockages locaux, fortement chargés en CO2, par un électrolyseur et gagner en efficacité en récupérant la chaleur sur le procédé. Mais ce cas de figure représente un faible volume en France, environ 700,000 tonnes par an. Il concerne surtout l’industrie de l’acier, des engrais et de la chimie.  
  • L’association de l’efficacité énergétique et de la décarbonation industrielle : nous sommes alors vraiment dans ce que nous pouvons appeler l’efficience. On récupère la chaleur, on produit de l’hydrogène à moindre coût et on réduit les émissions de CO2 du procédé. Mais pour cela, il faut le modifier : la plupart des industriels brûlent du gaz naturel pour chauffer leurs fours, il faut le remplacer, dans une certaine proportion, par l’hydrogène produit. Les industries ciblées sont essentiellement l’acier, le ciment et le verre.
  • L’utilisation de l’hydrogène pour la mobilité : l’industriel peut choisir de réaliser une station hydrogène locale pour sa flotte de véhicules, ou pour servir la collectivité en se raccordant aux infrastructures territoriales.
Dans tous les cas, le principe clé de l’efficacité énergétique, c’est que nous récupérons de la chaleur qui n’est pas utilisée sinon.

ALLICE : Lorsque vous remplacez le gaz naturel par de l’hydrogène pour alimenter des fours, n’y a-t-il pas des impacts sur le procédé industriel concerné ? Sur les équipements ?

Patrice Tochon : Bien sûr, il faut le prendre en compte : lorsqu’on substitue 5 à 10% du gaz naturel par de l’hydrogène, cela n’a en général aucun impact et c’est déjà un gain important en termes de décarbonation. Mais au-delà de cette proportion, il faut faire évoluer les brûleurs car la flamme de l’hydrogène est beaucoup plus chaude que la flamme de gaz. Elle peut monter à 1000°C voire plus.

Néanmoins, modifier un brûleur dans un four, cela reste un investissement raisonnable, on ne parle pas de changer tout l’appareil de production.

Une autre contrainte que nous prenons en compte : à ces niveaux de température, il y a plus d’émissions d’oxyde d’azote, gaz perturbateur pour la couche d’ozone. Pour contrer ce phénomène, alimenter les brûleurs avec de l’air enrichi en oxygène, co-produit de l’électrolyse, peut permettre de limiter cet impact. Cela demande des modifications mineures des systèmes.

ALLICE : Quels freins identifiez-vous pour le développement de ces technologies dans l’industrie ?

Patrice Tochon : C’est essentiellement une question économique : à ce jour, le gaz naturel est une énergie peu chère. Aujourd’hui, seuls les démonstrateurs subventionnés peuvent être mis en place pour des industriels. Certes la tendance du marché de l’énergie est à la hausse, et inversement les technologies innovantes d’énergies alternatives vont peu à peu s’industrialiser et devenir plus compétitives.

Actuellement, nous investissons dans une unité de production, transfert de la R&D vers la production industrielle, qui sera à l’échelle du Gigawatt, d’ici fin 2030 : cela va permettre de faire baisser très significativement les coûts de la production d’hydrogène.  L’objectif est d’atteindre des cadences de production et des taux de fiabilité  dignes de celles d’une ligne automobile. Avec des technologies produites à la chaîne, on vise un prix inférieur à 2€ le kg d’hydrogène pour une électricité à 40 €/MWh.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le poids de la taxe carbone va s’accroître pour les industriels. Ils ne pourront plus continuer à brûler des énergies fossiles. Vers 2030, peut-être avant, on observera un croisement des courbes de prix et le modèle économique de l’hydrogène sera alors viable. 

ALLICE : Entre vos recherches actuelles dans les laboratoires du CEA et cette unité en 2030, il y a sûrement de nombreuses étapes intermédiaires sur lesquelles vous travaillez ?

Patrice Tochon : Bien sûr ! D’ici 2025, nous aurons une dizaine de démonstrateurs industriels ou pré-industriels. Nous avons sélectionné des sites représentatifs de différents cas d’usages de la décarbonation pour passer de la promesse d’un bel objet technologique aux performances remarquables à une technique concrète en mesure de répondre de manière très opérationnelle aux besoins des différents cas existants dans l’industrie.

Même si ces sites pilotes sont déjà identifiés, nous restons intéressés pour échanger avec une diversité d’industriels qui souhaiteraient évaluer la faisabilité pour eux de faire appel à cette technologie, afin d’avoir une vision la plus exhaustive possible des différents cas d’usage auxquels elle devra répondre demain. Le marché de l’hydrogène est encore assez marginal dans l’industrie : nous devons préparer aujourd’hui le marché de demain et d’après-demain.

ALLICE : Comment voyez-vous cette organisation de la filière ? Les industriels devront-ils recruter de nouvelles compétences pour pouvoir intégrer ces technologies ou vous positionnez-vous sur une offre de service au-delà de la seule technologie ?

Patrice Tochon : L’idée est bien de fournir aussi le service, une supervision via des remontées d’informations automatiques et une maintenance annuelle. On ne peut pas demander aux partenaires industriels de monter en compétences sur la technologie.

Mise à part le 1er cas cité plus haut, où l’industriel utilise déjà de l’hydrogène et en connaît les impacts en termes de sécurité, il faudra que les industriels qui ne l’ont encore jamais utilisé intègrent de nouvelles mesures pour les risques liés à l'hydrogène : pour la sécurité au travail des collaborateurs, pour l’autorisation ICPE… Nous allons bien sûr analyser les risques avec eux lorsque nous travaillons sur des démonstrateurs, et les accompagner dans le bon cadrage de leurs principes de fonctionnement.

ALLICE : Et côté fournisseurs, vous évoquiez la nécessité de disposer de brûleurs supportant des températures plus élevées. L’offre est-elle déjà suffisante sur le marché ?

Patrice Tochon : C’est en train d’évoluer également : on trouve déjà quelques offres de brûleurs spécifiques pour l’hydrogène, mais cela va encore se développer et se démocratiser. En fait, tout l’éco-système de l’hydrogène est en développement : les produits, l’émergence de nouveaux métiers, la formation, le modèle économique…

En France, l’hydrogène est une réelle opportunité pour l’industrie : produire de l’hydrogène nécessite de l’électricité et nous avons la chance que celle-ci soit décarbonée. Ce n’est pas le cas en Allemagne par exemple, où produire de l’hydrogène par électrolyse est actuellement un non-sens du point de vue de la décarbonation compte tenu de la charge CO2 de leur électricité.

Le gouvernement a d’ailleurs cité le développement de l’hydrogène comme l’un des axes principaux du plan de relance : c’est un vrai vecteur de relocalisation de nos industries. A  ce jour, nous avons peu de fabricants d’électrolyseurs en France, mais ils existent. McPhy par exemple, va construire sa future Giga factory d’électrolyseurs à Belfort. Ce n’est pas suffisant, il y a encore des places à prendre ! 


 
NDRL : pour être mis en relation avec Patrice Tochon, n’hésitez pas à nous contacter : contact@alliance-allice.com.

Retrouvez également le replay de son pitch ci-dessous ou sur notre chaine Youtube :




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